L'estime de soi: ce qui né de la blessure Entre faille et lumière
- adelinehivet442
- il y a 7 jours
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L’estime de soi est souvent évoquée comme une question de confiance, de valorisation personnelle, de performance.
Mais du point de vue psychanalytique, elle touche à quelque chose de plus profond : notre rapport au regard de l’autre, à l’image que nous avons de nous-mêmes, et au manque qui nous constitue.
Dans cet article, je vous propose une traversée de ce thème à la lumière de la pensée lacanienne — une réflexion sur la manière dont l’être humain peut se réparer après la blessure, non pas en se refermant, mais en retrouvant un lien vivant à son désir.
L’image, le miroir, et la blessure
Quand la vie nous bouscule, ce que nous pensions solide se fissure. Ce n’est pas tant la réalité extérieure qui vacille, mais une certaine image de nous-mêmes, une cohérence intérieure à laquelle nous tenions sans le savoir.
C’est souvent là que commence la question de l’estime de soi. Non pas comme un concept psychologique, mais comme une expérience du manque, une faille qui fait retour.
Dans la perspective lacanienne, le moi naît d’une image, celle que l’enfant découvre dans le miroir, et, plus encore, dans le regard de ceux qui l’entourent. Avant même de parler, il se reconnaît dans ce reflet qui lui donne forme. C’est là, dit Lacan, que s’organise le stade du miroir : le moment où le sujet s’identifie à une image unifiée de lui-même, alors qu’il vit intérieurement une expérience morcelée.
Ce moi imaginaire, soutenu par le regard de l’Autre, devient le fondement de ce qu’on appelle communément l’estime de soi. Mais cette estime n’est jamais totalement nôtre : elle dépend toujours d’un regard extérieur. L’autre nous renvoie l’image d’un être aimable, ou non. D’un être reconnu, ou pas.
C’est pourquoi une blessure narcissique n’est pas une simple atteinte de l’ego : c’est une fêlure dans le lien à l’Autre — le lieu même où notre image se constitue.
Quand l’image s’effondre
Lorsque survient une rupture, une trahison, une perte ou un échec, ce n’est pas seulement la situation concrète qui fait souffrir. C’est souvent l’effondrement d’une image de soi : celle qui se voulait forte, compétente, aimée, choisie.
Nous nous découvrons soudain étrangers à nous-mêmes. Comme si le miroir se brisait, renvoyant mille fragments incohérents.
Dans ces moments-là, la tentation est grande de vouloir « restaurer » l’estime de soi en se rassurant : en se valorisant, en se comparant, en se répétant qu’on « vaut mieux que ça ». Mais la blessure ne se répare pas par l’ajout d’un vernis narcissique.
Elle demande un travail de parole, un temps où le sujet accepte de ne plus se confondre avec son image.
De l’image au sujet : une traversée
L’analyse, ou le travail psychique, ouvre cet espace.
Le psychanalyste n’est pas celui qui « redonne confiance », mais celui qui accompagne le sujet à retrouver un rapport vivant à son désir, au-delà de l’image blessée.
Car ce n’est pas le moi — cette fiction imaginaire — qui se répare : c’est le sujet du désir qui se retrouve, en acceptant sa division, sa part manquante.
Lacan le disait autrement : « Le désir de l’homme, c’est le désir de l’Autre. »
Cela signifie que notre rapport à nous-mêmes est toujours pris dans le champ du regard, du langage, de la reconnaissance. Se réparer, alors, ce n’est pas se refermer sur soi, mais reconstruire un lien vivant avec ce qui, en nous, reste désirant.
Là où l’image se fêle, une parole peut naître.
Et c’est dans cette parole — parfois hésitante, parfois douloureuse — que quelque chose du sujet s’invente à nouveau.
L’estime de soi comme effet du désir
L’estime de soi n’est pas un état stable, un capital à entretenir.
C’est un effet de mouvement, une conséquence du rapport que nous entretenons à notre propre désir.
Quand nous nous écartons trop de ce qui nous anime profondément, l’estime de soi se vide. Elle devient une façade, dépendante du regard ou de la réussite.
Mais lorsque nous retrouvons un lien, même fragile, avec notre désir — celui qui nous traverse, qui nous échappe, qui nous met en mouvement — alors quelque chose se répare de l’intérieur.
La réparation n’efface pas la blessure : elle la transforme en ouverture.
Ce que nous croyions perdu devient parfois le lieu d’un renouveau, d’une parole plus juste, d’un rapport à soi plus souple et plus vrai.
Accueillir la faille plutôt que la combler
Dans la clinique, on rencontre souvent cette attente : « Je voudrais retrouver confiance en moi. »
Mais ce que l’expérience analytique révèle, c’est qu’il ne s’agit pas tant de “retrouver” que de renoncer à l’idéal d’un moi parfait, infaillible, indemne.
L’estime de soi, dans une perspective lacanienne, ne se bâtit pas sur la maîtrise ni la toute-puissance — mais sur l’acceptation de la faille comme lieu du vivant.
Le sujet qui s’accepte traversé par le manque, séparé de son idéal, découvre une forme d’estime qui n’a plus besoin d’être prouvée.
Elle ne dépend plus du regard, mais d’une vérité intime : celle d’un être en chemin, qui se sait manquant — et qui, pourtant, continue de désirer.
Se réparer, c’est se remettre en mouvement
La blessure, dans cette perspective, n’est pas un accident à effacer. Elle est une trace — celle d’une rencontre avec le réel, avec la limite.
Et c’est à partir de cette trace que le sujet peut se réinventer.
Se réparer, ce n’est pas revenir à l’état d’avant.
C’est accepter de ne plus être le même — d’avoir perdu une image, mais gagné une parole.
C’est comprendre que l’estime de soi ne réside pas dans le reflet, mais dans le regard que l’on pose sur ce qui, en soi, reste vivant malgré tout.
"C'est dans la fissure que passe la lumière" Léonard Cohen
L’estime de soi ne se reconstruit pas par un effort de volonté, ni par un retour à une image passée de soi.
Elle se rejoue, chaque fois que nous acceptons de nous laisser traverser par ce qui nous échappe, chaque fois que nous retrouvons le fil de notre désir.
La psychanalyse ne promet pas la réparation du moi, mais l’avènement d’un sujet plus vrai — capable d’habiter sa faille, et d’y trouver la source même de son humanité.







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